La familia grande de Camille Kouchner

Une nouvelle fois, le milieu de l’édition est secoué par un livre choc mettant en cause une personnalité médiatique. Avec la même grâce et élégance que Vanessa Springora, Camille Kouchner nous livre un roman éprouvant mais indispensable pour la reconstruction des victimes.

La familia grande de Camille Kouchner (éditions Seuil)

La familia grande de Camille Kouchner (éditions Seuil)

Un an après Le Consentement de Vanessa Springora, un autre roman vient mettre un grand coup de pied dans la fourmilière des gens qui comptent, des puissants qui se sentent au-dessus de tout et notamment de la loi en couvrant des agissements pénalement répréhensibles. Pourquoi La familia grande est-elle une œuvre aussi indispensable que Le Consentement ? Parce qu’au-delà des faits terribles que relatent ces livres, on y découvre aussi un monde de nantis qui fonctionne en vase clos, avec ses propres règles, ses propres codes et très peu d’honneur. A quel point faut-il être déconnecté de la réalité et de tout sens moral pour protéger ainsi le bourreau et jeter l’opprobre sur ses victimes ? Qui est coupable ? Celui qui a violé ou celui qui a été violé ? Comment une telle question peut-elle seulement être posée ? Parce qu’ils sont nombreux, ceux de la familia grande à ne pas avoir perçu le beau-père incestueux comme le monstre qu’il était vraiment. Parce que, pire que tout, son épouse qui est aussi la mère de la victime se sentira trahie, non pas par son pervers de mari mais par son fils qui l’a forcément séduit pour le lui voler. Un monceau d’insanités affleure de ce témoignage livré pourtant avec beaucoup de pudeur par la sœur de la victime : celle qui savait dès l’âge de 14 ans et qui n’a pas parlé, pendant 30 ans par respect des volontés de son frère. Trente ans à se taire, trente ans à haïr dans le silence, trente ans à observer le monstre déployer ses ailes, être adulé, encensé par l’intelligentsia. Petit à petit Camille Kouchner va s’apercevoir que se taire n’est pas une manière d’aider la victime, elle l’a rend au contraire complice de son bourreau. Se taire c’est le laisser continuer sa vie comme si de rien n’était tout en rasant les murs pour éviter de croiser son chemin. C’est porter la honte qui devrait être la sienne, c’est se consumer de rage pendant que lui déploie ses ailes.

Je n’ai pas protégé mon frère, mais moi aussi j’ai été agressée. Je ne l’ai compris qu’il y a peu : notre beau-père a aussi fait de moi sa victime. Mon beau-père a fait de moi sa prisonnière. Je suis aussi l’une de ses victimes. Victime de la perversité. Pervertie, mais pas perverse, maman.
Où étiez-vous ? Que faisiez-vous quand sous vos yeux nous sombrions ? Vous que j’aimais tant… qu’avez-vous fait depuis que vous savez ?

Pourquoi écrire un tel livre ? Parce que dans une situation telle que celle décrite dans La familia grande, il n’y a plus que les mots qui peuvent  sauver. Quand la justice ne peut plus rien, quand l’entourage se rend complice, quand l’amour se trompe de cible, que reste-t-il en dehors des mots ? Un livre pour se livrer afin de se délivrer, c’est la seule arme encore à la portée de Camille et de son frère Victor. On a piétiné leur enfance, leur insouciance, on leur a arraché l’amour inconditionnel d’une mère, on leur a volé la bienveillance d’une tante, et en plus on voudrait qu’ils restent sagement dans l’ombre pendant que leur beau-père continue de faire la roue sur les plateaux télé ? A quel moment va-t-on arrêter de prendre les victimes pour des idiots et des empêcheurs de violer en paix ? Elle a raison Camille d’avoir écrit ce livre, un très beau livre qui plus est, qui monte en puissance au fil des pages, comme un cri trop longtemps enfoui qui parvient enfin jusqu’au bord des lèvres et que plus rien ne peut arrêter. Elle a eu raison Camille, de remettre une fois encore l’église au milieu du village. Il est simplement affligeant de voir que certains accueillent ce genre de livre comme une manière de se faire du fric sur le dos d’un pauvre bougre. A ces gens-là j’ai envie de répondre que comme ils n’ont encore rien compris, il ne faut pas qu’ils s’inquiètent : d’autres livres suivront, d’autres histoires seront ainsi mises à nues, d’autres violeurs seront pointés du doigt. Puisqu’il faut en passer par là. Puisque la justice n’a toujours pas pris la mesure de la situation. Puisque l’entourage  n’est pas capable de protéger les siens. Ca n’est pas se faire justice soi-même que d’écrire ce genre de livre, c’est juste le moyen de mettre un terme à la plus dégueulasse des injustices. La nuance est de taille.



L’ESSENTIEL

Couverture de La familia grande de Camille Kouchner

Couverture de La familia grande de Camille Kouchner

La familia grande
Camille KOUCHNER
Editions Seuil
Sorti en GF le 05/01/2021
208 pages 

Genre : roman autobiographique, témoignage
Plaisir de lecture : ❤❤❤❤❤
Personnages : Victor et Camille, Evelyne Pisier la mère, Bernard Kouchner le père, Marie-France Pisier la tante et Olivier Duhamel le beau-père incestueux
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Le Consentement de Vanessa Springora, L’empreinte d’Alexandria Marzano-Lesnevich, La loi des hommes de Wendall Utroi, Le fils parfait de Mathieu Ménegaux, Lolita de Vladimir Nabokov

 

RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR

« Souviens-toi, maman : nous étions tes enfants. » C.K. C’est l’histoire d’une grande famille qui aime débattre, rire et danser, qui aime le soleil et l’été. C’est le récit incandescent d’une femme qui ose enfin raconter ce qui a longtemps fait taire la familia grande.


TOUJOURS PAS CONVAINCU ?

Une fois n’est pas coutume, je vais partager ici les raisons déjà publiées sur Le Consentement car le combat est le même et reste intact, un an après.

3 raisons de lire Le Consentement ET La familia grande

  1. Parce que l’ombre et la peur doivent changer de camp
  2. Parce que c’est le meilleur moyen de condamner les agissements de cette ordure
  3. Parce que la parole de la victime doit avoir plus de répercussion que celle de son bourreau

3 AUTRES raisons de lire Le Consentement ET La familia grande

  1. Parce qu’il est crucial que le message du livre passe une fois pour toutes
  2. Parce que ce livre peut aider d’autres victimes à libérer leur parole
  3. Parce qu’il faut un courage exceptionnel pour livrer un tel témoignage et que cela mérite tout notre soutien
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