Nature humaine de Serge Joncour

Il arrive parfois que l’on croise la route d’un livre qui nous renvoie un drôle d’écho. Nature humaine vient de me faire cet effet en réveillant pas mal de souvenirs de jeunesse.

Nature humaine de Serge Joncour (éditions audio Gallimard)

Nature humaine de Serge Joncour (éditions audio Gallimard)

Dans ce roman, Serge Joncour retrace plus de 20 ans de notre histoire, de la grande sécheresse de 1976 à la tempête de 1999, à travers le parcours d’un fils d’agriculteurs. Les Fabrier tiennent une ferme dans le Lot. Petit à petit ils sentent que leur monde change irrémédiablement. Tandis que les supermarchés commencent à fleurir ça et là, on leur en demande toujours plus. Plus de production, plus de rendement, réinventer leur métier pour répondre à une demande sans cesse croissante. Les consommateurs veulent de la viande emballée sous vide, du steak haché prêt à consommer et bon marché. Outre-Manche on a trouvé la parade en nourrissant les bêtes avec de la farine animale, on sait où cela nous a mené…

Des dangers pour notre santé, Alexandre en a identifié un autre : le nucléaire. Avec sa petite amie Constanze et un groupe d’activistes antinucléaires il sera de tous les combats pour empêcher l’ouverture de la centrale de Golfech. Le nucléaire est une électricité sûre, aucune raison de s’inquiéter. Tchernobyl nous l’a prouvé…

– Mais tout de même, c’est bizarre de venir chez nous pour faire des photos de jambon !
– Et pourquoi ça ?
– Parce qu’on n’a jamais fait de porc par ici, dans la région vous trouverez pas le moindre élevage de cochons à deux cents kilomètres à la ronde…
– Parce que ça pue ?
– Non, mais comme les porcs sont nourris avec des farines de poisson et du soja américain, c’est logique que les élevages soient près de la mer !
– Tant mieux, ça tombe bien. Quand on fait une pub pour le jambon, il faut surtout pas montrer de cochons, sinon les consommateurs prendraient peur. Les consommateurs c’est pas avec du réel qu’on les fait rêver, le réel ils sont dedans tous les jours, le chômage, l’inflation, Tchernobyl, le sida, l’explosion de Challenger, le réel c’est tout ce qui nous pète à la gueule…
– Et donc, pour vendre des yaourts faut pas montrer de vaches ?
– Exact ! Jamais de vaches pour les yaourts, mais par contre faut montrer la laitière, une belle blonde aux joues bien rouges, et des fleurs dans les prés, de l’herbe, un ruisseau, du ciel bleu, mais surtout pas de paille ni de mamelles… La publicité c’est fait pour vendre du rêve, pas des vaches. Et encore moins des cochons.

La modernité avec ces villes plus accueillantes que les campagnes, les axes routiers qui se déploient de façon anarchique à travers les paysages jusque-là préservés, cette nature que l’on maltraite, que l’on piétine et que l’on ne respecte plus, un quart de siècle à tout sacrifier au nom du progrès, ça fait réfléchir, indéniablement.

Alexandre traversera ces décennies en restant fidèle à sa terre même s’il doit renoncer à une certaine forme de liberté pour cela et plus encore à Constanze qui ne peut se satisfaire d’une vie si ancrée, si enracinée. Ses sœurs, libres de leurs mouvements choisiront les commodités de la ville tandis que lui reprendra l’exploitation familiale, un peu par choix, beaucoup par obligation.

D’élections présidentielles en événements climatiques, de progrès technologiques en catastrophes écologiques, Nature humaine convoque des faits majeurs du dernier quart du XXe siècle pour jalonner le parcours d’Alexandre qui n’aura de cesse de lutter pour maintenir son exploitation à flot. Si tous les Français ont été concernés par cette marche forcée vers le progrès qui n’en a pas toujours été un, les paysans et habitants des campagnes ont été les plus malmenés par cette course effrénée à la modernité qui a mené entre autre à la désertification des campagnes. Ce roman les couve d’un regard tendre et nostalgique mais ne ferme pas pour autant les yeux sur le rôle joué par le monde agricole contraint de céder aux sirènes de la surconsommation. Ce que nous avons fait de cette fin du XXe siècle relève de notre responsabilité collective, tout comme ce que nous ferons de la suite du XXIe siècle.

Avec Nature humaine, Serge Joncour remet les pendules à l’heure et le fait avec beaucoup d’intelligence.


L’ESSENTIEL

Couverture de Nature humaine de Serge Joncour

Couverture de Nature humaine de Serge Joncour

Nature humaine
Serge JONCOUR
Editions Flammarion
Sorti le 19/08/2020 en GF et en audio
400 pages (8h54 d’écoute)
Lu par Bertrand Pazos

Genre : roman contemporain
Personnages : Alexandre et Constanze
Plaisir de lecture : ❤❤❤❤❤
Plaisir d’écoute : ❤❤❤❤❤
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Chaleur humaine (le tome 2) et Chien-loup du même auteur, Une bête au paradis de Cécile Coulon, Dévorer le ciel de Paolo Giordano, Dans la forêt de Jean Hegland

RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR

La France est noyée sous une tempête diluvienne qui lui donne des airs, en ce dernier jour de 1999, de fin du monde. Alexandre, reclus dans sa ferme du Lot où il a grandi avec ses trois soeurs, semble redouter davantage l’arrivée des gendarmes. Seul dans la nuit noire, il va revivre la fin d’un autre monde, les derniers jours de cette vie paysanne et en retrait qui lui paraissait immuable enfant. Entre l’homme et la nature, la relation n’a cessé de se tendre. A qui la faute ? Dans ce grand roman de « la nature humaine » , Serge Joncour orchestre presque trente ans d’histoire nationale où se répondent jusqu’au vertige les progrès, les luttes, la vie politique et les catastrophes successives qui ont jalonné la fin du XXe siècle, percutant de plein fouet une famille française. En offrant à notre monde contemporain la radiographie complexe de son enfance, il nous instruit magnifiquement sur notre humanité en péril. A moins que la nature ne vienne reprendre certains de ses droits…


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TOUJOURS PAS CONVAINCU ?

3 raisons de lire Nature humaine

  1. Parce que ce roman traite d’un thème trop peu exploité encore
  2. Parce qu’il offre une rétrospective très intéressante de la fin du XXe siècle
  3. Parce que Serge Joncour aime la terre et parle mieux que quiconque de ce qu’il aime

3 raisons de ne pas lire Nature humaine

  1. Je ne suis pas certaine que ce roman évoque grand chose aux nouvelles générations
  2. Le personnage d’Alexandre est plutôt effacé alors qu’il tient une place centrale dans ce roman
  3. Il faut aimer la terre pour aimer ce roman, je crois. Si vous êtes un citadin pur souche, il y a des chances pour qu’il vous laisse indifférent
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